La proie de ses propres règles.




«Le cœur n’a jamais de rides. Il n’a que des cicatrices».
— Francis Carco

De souche familiale aisée, il est de ces individus que l’on étiquette allègement «gosse de riche». Pour sûr, celui-là vit avec son frère aîné. Quant à ses parents, absorbés par leurs obligations professionnelles, ils sont constamment happés par des voyages d’affaires. Ainsi, depuis son plus jeune âge, c’est son frère qui s’attribua seul le rôle de guide, veillant à son éducation et à bien d’autres aspects de sa vie.

Vivre éloigné de ses parents comporte son lot de difficultés, mais cela n’entame en rien l’amour qui unit cette famille. Pour lui, l’amour se résumait à ses parents et à son frère, sa seule famille. Il voyait très tôt les larmes qui ruisselaient des yeux de son frère, causées par les tourments de l’amour. Cette scène se répéta souvent. Il ne comprenait pas la raison de cette souffrance. Il ne croyait pas que l’amour pouvait dégainer de telles émotions et se posait sans cesse la question : «Quel est donc son problème ?» Mais plus tard, l’insight se produisit dans son esprit.

Un jour, le temps était à la confidence. Son frère a délié sa langue, dans une bonne ambiance consanguine.

«Petit, le problème c’est pas l’amour en soi, c’est les meufs qui me tailladent le cœur à chaque fois, l’écrasent, comme des sabots écrasent une crotte. Et comme t’es mon frangin, je te promets que ça ne t’arrivera jamais. Je vais te rendre balaise avec les filles, un vrai don juan, le coureur de jupons le plus insaisissable de la famille. Je vais te dessiller les yeux, te montrer comment ça marche la vie, tu vas tout comprendre. T’inquiète, je ne te laisserai pas tomber».

Comme l’a dit Ray Winstone :«Soit on vit dans un zoo, soit on survit dans la jungle». Et pour survivre dans la jungle, il faut être le prédateur, non la proie. Je m’assurerai que tu sois prêt pour la jungle, pour l’arène de la prédation sexuelle».

À force d’entendre les paroles de son frère, il finit par céder et accepta de suivre ses enseignements. Quelques années plus tard, il devint l’homme adulé des femmes, le séducteur de la faculté, celui dont le nom commençait par un «J». Il ne cherchait que le plaisir, tel un conquérant, un collectionneur de conquêtes féminines. Il n’avait de cesse de venger son frère, et pour éviter de s’engager sur le terrain sentimental, il avait retenu cette phrase par cœur : « Ce n’est pas ta femme, c’est ton tour. Ne t’attache pas, profite». Il enchaînait les rendez-vous galants, rompant ensuite sans aucune once de remords.

Jusqu’au jour où il croisa la route d’une femme à la beauté envahissante, dont l’élégance naturelle semblait défier toute affectation. Elle incarnait une grâce innée, une présence lumineuse qui monopolisait les regards, sans le moindre effort. Sa silhouette élancée, empreinte de finesse et de raffinement, se mouvait avec une aisance désarmante, et son regard, profond et énigmatique, reflétait un monde intérieur riche, rehaussé par l’expérience et la sensibilité. Elle était de ces femmes dont la prestance impose le respect avant même que des bribes de mots daignent traverser leurs lèvres, de celles dont l’aura magnétique intrigue et attire, irrémédiablement. Irrévérencieusement.

Sous cette apparente douceur se dissimulait une force insoupçonnée, celle d’une âme qui avait combattu tous les combats de l’amour, mais aussi de la douleur. Une rupture récente l’avait laissée vacillante, indécise, avec son cœur qui trimballe les fêlures d’une plaie invisible, mais son regard ne trahissait aucune faiblesse. Loin d’être brisée, elle était une femme qui renaissait de ses cendres comme un phénix, une femme qui, malgré la tempête intérieure, avançait avec une dignité inébranlable.

C’est alors qu’il apparut, toujours impeccable, toujours maître de lui-même. Tout en lui respirait l’assurance et la séduction, ce charisme calculé qui lui avait tant de fois permis d’obtenir ce qu’il désirait. Persuadé d’avoir affaire à une proie facile, il l’aborda avec cette aisance naturelle qui lui était propre, maniant les mots comme des armes, tissant une conversation habilement orchestrée jusqu’à ce qu’ils échangent leurs numéros.

Cette femme, cependant, n’était pas de celles qui se laissent impressionner. Les filets du frime lui laissèrent souvent indifférentes. Son intelligence et sa vivacité d’esprit faisaient d’elle une interlocutrice redoutable, capable de répondre à ses avances avec une finesse égale à la sienne. Elle maîtrisait l’art du dialogue et savait naviguer dans les méandres du flirt avec une élégance souveraine. Elle était de celles dont la présence laisse une empreinte, un parfum d’inachevé qui pousse à vouloir en savoir plus.

Lui, sûr de son pouvoir, pensait ajouter un nouveau nom à son palmarès, une conquête de plus qui flatterait son ego. Mais, sans qu’il ne le réalise, quelque chose d’inattendu se produisit. Peu à peu, elle s’imposa à son esprit autrement que comme un simple jeu. Il se surprit à penser à elle différemment, à chercher sa présence sans raison apparente. Il ne comprenait pas encore qu’il avait franchi la première étape d’un piège qu’il n’avait jamais connu : celui de l’amour véritable. Et cette fois, ce n’était pas lui qui menait la danse.

Elle se montra compréhensive face à la situation de son compagnon. Apparemment, ce n’était pas encore la fin, Il était amoureux, c’était bien, mais il ne savait pas que trop d’amour allait le rendre toxique. Le « OG » n’était plus. Il était censé mener la danse, mais désormais, il ne faisait que suivre les pas de sa partenaire. La relation avait perdu tout son sens. Une histoire censée durer toujours venait brusquement de trouver son terme, car une semaine plus tard, elle annonça la rupture. À cet instant précis, il se souvint des paroles de son frère. Il ne parvenait pas à comprendre ce qui lui arrivait. Ce n’était pas la fin du monde, mais la fin de son règne. L’homme charmant s’était transformé en une mauviette, un manipulateur qui s’était fait manipuler. Le prédateur était devenu la proie. Et avant de partir, elle lui lança ces mots :
« Il y a quelques mois, avant toi, j’étais amoureux.
Je l’aimais plus que tout au monde.
J’étais un peu comme toi…
Mais cette personne m’a appris à ne jamais aimer quelqu’un autant.
Je voulais une aventure sérieuse ; lui, il prenait plaisir à me manipuler, à me jouer.
Au final, les souffrances qu’il m’a infligées m’ont transformée en une «joueuse».
C’est à cause d’hommes comme toi que je suis devenue ainsi.
Tu étais si prévisible, et tu as commis la plus grande erreur de ta vie : celle de me sous-estimer. Tu te croyais intelligent, mais en réalité, tu t’es contenté de la partie visible de l’iceberg, ignorant tout ce qui se trouvait sous la surface... Pauvre garçon!»


D. Matino Sensiny SAINT-VIL ✍️

C.P: Pinterest 

Commentaires

  1. Ce texte a une très belle plume : l’écriture est fluide, élégante et dotée d’un bon sens du rythme. On sent une tension émotionnelle bien construite entre les deux personnages principaux, avec une dynamique de pouvoir qui s’inverse lentement mais sûrement. Ce qui commence comme un jeu de séduction classique bascule progressivement en une prise de conscience amère pour le protagoniste masculin. La chute est particulièrement percutante, avec un twist qui révèle la vraie nature de la femme, forgée par des blessures profondes et une volonté de reprendre le contrôle. L’usage du contraste entre le prédateur et la proie fonctionne bien, rendant le tout à la fois captivant et mélancolique.
    Good job frangin !

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  2. Ce texte est profondément émouvant. Il réchauffe l'âme, touche le cœur et captive l'esprit. En le lisant , on a presque l'impression d'y être, de vive chaque mot , chaque émotion, comme si tout se déroulait sous nos yeux .

    Ce gosse de riche , qui se croyait intouchable , maître dans l'art de manipuler et fier d'être un coureur de jupons , a fini par rencontrer sa vérité . Il est tombé sur une femme bien plus intelligente , plus rusée, et plus forte que lui . Elle ne s'est pas laissée berner par ses jeux .et c'est là que le destin a tranché: la roue a tourné, et ce n'est rien d'autre que le karma qui a parlé.

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  3. J'ai pris le temps de lire ce texte, d'aller plus loin dans mon esprit le proverbe "Derrière chaque montagne il y a une montagne à franchir" et j'en viens aussi à accepter et à comprendre que notre résistance dépend de l'absence d'amour autour de nous, une fois que l'amour décide de nous rendre visite rien ne peut l'arrêter, nous sommes trop petits pour lutter contre sa puissance. Matino💥, encore une fois tu ne cesses jamais de créer des opportunités pour nous d'en apprendre davantage, merci frère.

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  4. 💯Bravo à toi, Matino !👏🏾

    Tu signes ici un texte fort, lucide et bien construit, bro. À travers le parcours de ton personnage, tu exposes avec finesse la mécanique des blessures transmises et l’illusion du contrôle.
    😎👌🏾 Le retournement final est maîtrisé, poignant, et donne tout son sens à la citation de Francis Carco : « Le cœur n’a jamais de rides. Il n’a que des cicatrices. »
    Tu réussis à dire beaucoup en peu de mots. Félicitations pour cette belle plume, 🅰️L🅿️H🅰️ ❕🫡

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  5. Rosterfens Marcellus RAPHAËL24 avril 2025 à 09:30

    🔥🔥
    Lumière sur toi mon frère.
    Pendant quelques minutes de lecture, mon esprit s'est noyé dans l'immensité de ton imagination. Des mots bien choisis, une cohérence impeccable, en gros une plume capable de transcender même les moins passionnés de lecture.

    FKD

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