La proie de ses propres règles : Mode d’emploi pour s’autodétruire
Le soleil avec son teint mordoré chavirait derrière l’horizon. Le ciel rougeoyait. De petits nuages blancs se déplaçaient lentement vers le sud et surprennent les mots de la conversation.
« — Pauvre garçon…
— Si je comprends bien, c’était ça
le plan dès le début? Je t’aimais, alors que toi, tu n’étais là que pour jouer, que pour une partie de cartes. Je n’ai jamais aimé autant. Mon frère avait raison. La personne dont tu raffoles le plus est celui-là même qui t’apprendra
à ne plus jamais aimer.
— Mais…
— Il n’y a pas de mais qui tienne. Je ne veux plus rien entendre. J’ai eu ma dose pour aujourd’hui».
Leurs chemins semblaient se séparer. Il n’avait plus qu’à rentrer chez lui, retrouver le confort faussement douillet de ses quatre murs. Peut-être que son frère aurait d’autres leçons à lui enseigner, peut-être qu’il serait à lui même de tirer de sa giberne d'autres conseils salvateurs. Peut-être y puiserait-il un tant soit peu de repos. Au fin fond de lui-même, il espérait qu’un miracle cosmique remette en place les pièces d’un puzzle qui était en train d’échapper à sa logique, la logique de ses sentiments. Ce serait encore mieux s’il pouvait remonter le temps et empêcher la rupture. Cette rupture qui lui vrillait les tripes. Il savait qu’il avait merdé, et il n’avait de cesse d’imaginer la réaction de son frère lorsqu’il aura vent de cette cassure. Il se surprenait même à penser vouloir remettre tout en ordre avant de rentrer. D’aligner les dés pour une nouvelle partie de jeu. Rafistoler les bribes fissurées d’une relation qui n’a pas encore fait son temps. Les oripeaux du vieux don juan qu'il était, semblaient maintenant lui chuchoter tout bas qu’il a perdu de son panache. Que les injures du temps lui avaient grugé cette qualité à petites cuillères. Il avait tenté de retrouver son ex, mais elle était déjà partie. Maintenant, il devait affronter son retour à la maison.
Arrivé devant chez lui, il n’eût pas la force de passer le seuil, trop submergé par l’avalanche des émotions qui le submergeaient. À l’intérieur, Son frère l’attendait, nimbé d'un calme digne d’un dieu de l'Olympe.
« — Qu’est-ce qui t’est arrivé,
petit? Pourquoi tu t’es autant saoulé la gueule? Les effluves du clairin
semblent te sortir par tous les pores.
Tu es tellement éméché que ta bouche n’obéit plus à ton cerceau. Tu débites des âneries dignes d'un con de première. Je n’y comprends absolument rien. Repose-toi! On aura une vraie discussion plus tard. Fais-moi confiance : je suis là pour veiller sur toi, t’écouter, t’épauler. Mais là, il fait cette heure où je dois m’abandonner dans les bras de Morphée».
Malgré les brumes de l’ivresse qui obstruaient les sentiers de sa lucidité, il regagna en titubant sa chambre dans un noir d’encre.
Le lendemain, son frère était déjà sur son pied de guerre dès les premières lueurs de l’aube, avec une oreille spécialement portée sur l’écoute, la confidence, et des lèvres brûlées par une question ardente.
« — Petit, qu’est-ce qui t’a pris hier? Pourquoi tu t’étais mis dans cet état?».
Les questions s’accumulaient. Le cadet, après un silence, lâcha :
« — Reuf, t’avais raison. Ma meuf vient de me larguer. Le pire, c’est que je l’aimais plus que tout. Elle m’a tourné le dos au moment où mes sentiments paroxysaient. Je suis totalement épuisé. Je ne sais plus quoi faire. Honnêtement, je ne trouve plus ma force. Je suis vidé de mon énergie.
Le grand frère, patient, tenta de le ramener à la raison :
« — Frangin, je comprends. Mais, l'une des plus grandes leçons de la vie réside là: si tu tombes, relève-toi, et considère ta chute comme un nouveau levier de progression personnelle. Maintenant, tu vas réapprendre la vie, l’amour, et tout le tralala. C’est peut-être le moment d’arrêter d’être un player 2.0 pour devenir une meilleure version de toi-même. Concentre-toi sur la partie remplie du verre, oublie le vide. J’ai connu des ruptures, et crois-moi, on n’avance pas en regardant naïvement en arrière. Tu es jeune, il y aura encore d’autres flammes.
— Stop talking nonsense, bro ! Tu as fait de moi une mécanique à briser des cœurs, mais tu oublies qu’on n’est, qu’on ne sera jamais des machines. On a un cerveau, on a un cœur. Le premier pour que l’on pense, et le second pour aimer. Tu me parles d’oublier le passé, de chercher de nouvelles flammes? Tout ça, des monuments de conneries! Moi, le parangon de la séduction! Tu me racontes des âneries à dormir debout. Je me sens maintenant noyé dans un verre rempli à ras-le-bord d’une rasade écœurante d’amateurisme.
— N’oublie pas que «l’amateur» dont tu parles a fait de toi ce séducteur que tu «prétends être».
La conversation dérapait vers des sentiers abrupts.
— Toi, tu m’as formé? Laissez-moi rire. J’ai juste eu pitié de toi quand tu pleurnichais sur tes échecs. J’ai décidé de te venger. Et même si c’était vrai, l’élève a largement dépassé le maître. Elle m’a brisé, mais au moins, je n’ai guère chialé comme un minable garnement. Merci pour ton aide, mais je suis maintenant capable de m’en passer. Je vais nettoyer mon merdier tout seul.
Pour la première fois, ils s’étaient disputés. Ce n’était pas ce qu’il voulait dire. Sa langue lui a un peu fourché. Les mots ont pris des couleurs pas très nettes. Il avait l’impression que sa personnalité se dédoublait dans un diptyque asymétrique dont une partie éructait des reproches aiguisés tandis que l’autre contemplait le spectacle, calfeutré dans un coin. Mais au fond de lui, il se savait fautif. Un sinistre sentiment de culpabilité amère remonta comme une bile sur son estomac. Sa langue devient pesante. Il taillada les mots qui lui gonflèrent la gorge jusque-là et tourna les talons, d’un pas silencieusement lourd.
***
Les jours passèrent en enfilade. Le cadet ne pensait qu’à son ex, à cet amour perdu. Il avait même créé une playlist «Broken Heart» sur son téléphone. Petit à petit, à force de les entendre, ses morceaux s’incrustent insidieusement en lui. Chaque son devient un baume, une mélopée d’un coeur fissuré qui tente de se dérober à sa réalité. Chaque rime plongeait dans un lyrisme mélancolique. Chaque note était semblable à des fragments de poésie sacrifiés à un amour arrêté trop tôt dans sa course vers l’éternité.
Un soir, où il faisait un froid de canard, il tombe sur une chanson d’un artiste nommé Stan qui le transportait. Le titre lyrique lui parlait, conversait avec son âme. Il avait beau l’entendre déjà plusieurs fois, en boucle, il avait l’impression que cette écoute se faisait sous un nouveau jour. Clair. D’une clarté de source. Métallique.
«Se lanmou k geri lanmou». (c’est l’amour qui guérit l’amour).
Ses mots se révélèrent subitement à lui. Comme une invitation. Comme un nouveau départ criblé d’un soleil nouveau. Il était convaincu d’avoir résolu un problème existentiel qui le triturait depuis des lustres. N’est-ce pas assez parlant comme ça ?! Les paroles de ce tube revêtaient la soierie et la fragrance des Dieux. Seul l'amour avait le don de guérir l’amour. Dans un noir pourtant de jais, la vérité de ces mots trouva un passage lumineux dans l’emboîtement tortueux de ses sombres pensées. Il avait l'impression d’être soudain l’égérie de la sagesse intemporelle de Thot. Un puits de science qui a résolu le théorème de la performativité galante : des parties de jambes en l’air continues sont le meilleur antidote à un cœur brisé à bloc. La vérité lui blessait les yeux. Il devait revenir à l’époque où il était un séducteur bon teint. Il devait enchaîner les conquêtes. Revenir à cette période où il déshabillait de ses yeux les femelles en rut et les léchait le corps de son appétit sexuel vorace.
Le don juan était de retour depuis des jours. Mais il était différent. Il était désormais dans la peau d’un conquérant insensible. Un homme sans cœur. Un prédateur cherchant désespérément sa proie quotidienne. Plus redoutable que jamais. Motivé par l’obsession de raturer le passé. D’écrire un nouveau chapitre de sa vie sentimentale, avec seulement les larmes et les désillusions naïves de ses victimes. De ses souffre-douleurs.
***
Dans un bar au fond d’une salle éclairée par des lumières à néons, à cheval sur lui, il donna un dernier coup de rein à une blonde en feu. Alors qu’il tentait d’extraire sa verge à temps, une partie de son foutre gicla sur le sol. Mais il n'y fit pas attention. Il était comme un automate. Malgré les subtils et conséquents coups de reins de la belle qu’il vient de servir allègrement un plat d’orgasme bien concocté, aucune émotion particulière ne semblait prendre forme sur son visage. Pas la moindre jouissance. Pas même un mince filet de plaisir. Il était comme piqué d’une indifférence qui frôlait le scandale. Comme celle qui se lisait sur le visage des noceurs qui visitaient cette taverne qu’il fréquenta depuis près de dix jours. Là, on pouvait baiser comme des forcenés sans grand risque d’attirer la moindre attention. Comme si la lumière tamisée des lieux adoucissait en même temps la curiosité des gens. Il regarda, d’un œil voilé, le plafond de la pièce. Il était d’une boiserie qui commençait déjà à partir en poudres sous les assauts des colonies d’insectes. Il redescend son regard vers la salle pour regarder s'éloigner la belle au bois dormant vers le bar, d’une démarche poussive.
…Pourtant, derrière ses succès en apparence triomphants, il n’était plus vraiment un player. Il était maintenant autre chose. Il était moulé dans une autre terre. Il était dorénavant ce que la belle verve populaire appellerait un mâle beta. Avant, il séduisait par jeu. Maintenant, la séduction est un pansement. Un pansement pour sa blessure. Ses partenaires, de simples cartes à jouer dans une partie d’échecs où perçait cependant cette envie d'oubli. L'oubli d'une saga de mièvrerie rose qui refuse de traîner ses chaînes dans les sillons du passé.
Ses yeux s’attardant sur la petite poignée de gens qui se déhanchaient sur la piste de danse, une conversation remonta dans son esprit. Un jour, lors d’un rendez-vous avec une femme, une espèce de courtisane, il s’était retrouvé nez à nez avec son ex. Il avait annulé le rencard pour lui parler. Elle lui a avoué, le regard attendrissant:
« — Je t’ai quitté… Pas parce que je ne t’aimais pas. Au contraire. J’ai eu plutôt peur que l’histoire avec mon ex puisse se répéter.
— Je comprends. Mais, m’aimes-tu toujours?
— Oui. Mais j’ai peur que cela te donne une raison de réintégrer ma vie juste pour venger ton ego. Je sais à quel point c’est important pour toi. Je sais que tu es un baril d’ego plein à ras-le-bord qui explose à la première déconvenue».
Ses mots apparemment anodins avaient actionné un levier d’incertitudes en lui. Il avait reparti plus malheureux, plus bouleversé que jamais. Un flot confus de questions lui torturaient la tête. Il se prit à s’agiter sur son volant, comme un chien pouilleux. Les questions lui piquaient le corps comme des aiguilles empoisonnées. Dans les minutes qui suivirent, il se prit à penser à son frère. Il se demande intérieurement s'il n’avait pas raison après tout. Peut-être qu’il faut toujours aimer. Naïvement. Simplement. Il se remémore les blessures. La rupture. Pour la première fois, il se surprend à mettre des mots sur sa douleur passée, dont les échos résonnent encore avec les battements de son cœur. Presque quotidiennement. Toujours. Le brouillard d’un malaise soudain l’engloutissait. Il avait l’impression de devenir une entité rongée par le doute. Une boule d’incertitudes.
…Pour la énième fois, il pensa à son frère.
Peut-être qu’il avait raison…Oui, peut-être, après tout, qu’il avait raison. On
a un esprit pour dessiner des pensées, et un cœur pour apprendre à aimer.
D. Matino Sensiny SAINT-VIL
C.P: Pinterest
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RépondreSupprimerJe vous promets de ne jamais lâcher ma plume✍️ – et pour créer un lien plus proche avec vous, j’ai décidé de lancer un groupe WhatsApp exclusif autour du blog.
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A très vite de l’autre côté!
D. Matino Sensiny SAINT-VIL ✍️
Franchement, ce texte m’a frappé en plein cœur. Je m’y suis vu à travers chaque ligne, chaque doute, chaque faille. C’est exactement ce mélange que je ressens parfois entre la fierté, les sentiments profonds et cette envie de recoller les morceaux. Y a quelque chose de brut là-dedans, quelque chose de vrai, mec. J’ai eu l’impression qu’on mettait des mots sur des trucs que moi-même, j’ai du mal à dire. Si je ne l’avais pas lu, je l’aurais sûrement écrit. C’est moi, quelque part, dans cette histoire, bro.🤞🏾😎👌🏾
RépondreSupprimer👏🏾Bravo à toi, champion !🏆 Continue comme ça, Matino, mon frère.🙌🏾
Just the fire for you my brother ...🔥
RépondreSupprimerTon style possède la capacité de guider le lecteur, continue d'écrire frère !
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